Histoire

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Quand les écrivains inventent des mots

Vue du parcours de visite "L'aventure du français"

« L’avenir du langage, c’est moi », écrivait San Antonio. Retour sur quelques contributions d’auteurs célèbres à l’enrichissement de la langue française.

Dans sa Défense et illustration de la langue française, publié en 1549, Joachim Du Bellay encourageait les poètes à « innover quelque terme en un long poème » en « espérant que la postérité l’approuvera ». Autrement dit, à inventer des mots pour enrichir le vocabulaire français.
 

Plus nous aurons de mots dans nostre langue, plus elle sera parfaite.

De l'art d'inventer des mots abracadabrantesques

Rabelais avait déjà montré la voie dans la première moitié du XVIe siècle : puisant dans toutes les langues anciennes et contemporaines, l’écrivain devint l’un des plus grands « inventeurs » de mots nouveaux de l’histoire de la langue française.

On lui doit notamment les termes indigènegymnaste ou encore automate, ainsi que les expressions « mouton de Panurge » et « substantifique moelle ».

Depuis, ses héritiers ont marché sur ses traces, que ce soit par nécessité, par fantaisie… ou quelquefois par erreur ! Ainsi, le mot compatissance employé par Balzac ne manqua pas d’étonner André Gide : « Il me semble que compassion suffisait », nota-t-il dans son Journal.

Mais l’artiste a presque tous les droits, y compris celui de se tromper !

Parmi les créations qui ont eu le plus de succès, comment ne pas citer le surréalisme d’Apollinaire, mot inventé en 1917 dans une critique du spectacle Parade de Jean Cocteau et Erik Satie ?
 

Rideau de scène du ballet "Parade" peint par Pablo Picasso
Pablo Picasso, Rideau de scène du ballet "Parade", 1917

© Centre Pompidou

 

On peut aussi avoir un faible pour le fantaisiste abracadabrantesque, immortalisé par Rimbaud dans « Le Cœur volé » (1871), puis longtemps oublié avant d’être remis à la mode par le président français Jacques Chirac en 2000.

C’est un adjectif que Marcel Proust aurait peut-être qualifié de bizarroïde, mot apparu pour la première fois en littérature dans Sodome et Gomorrhe en 1922. Ou peut-être même d’ubuesque, terme inventé par Alfred Jarry en 1906 en référence à son célèbre personnage le Père Ubu !

Quand la langue française se nourrit du contexte socioculturel

Certains mots apparemment nouveaux le sont pourtant moins qu’il n’y paraît : les controverses récentes sur la féminisation du mot patrimoine oublient qu’Hervé Bazin publiait dès 1967 un roman intitulé Le matrimoine, remettant au goût du jour un terme alors tombé en désuétude.

Plus généralement, les évolutions politiques, sociales et culturelles sont évidemment propices aux néologismes. La pensée anticoloniale du milieu du XXe siècle a donné naissance au concept de négritude, inventé par l’auteur martiniquais Aimé Césaire et repris par le futur président du Sénégal Léopold Sédar Senghor.

La littérature africaine francophone joue souvent des interactions entre langues et cultures pour renouveler le lexique par le biais de la fiction. Ainsi, la Camerounaise Calixthe Beyala n’hésite pas à décrire un village chamboulé par des « rumeurs batonmanioquées, bananassées et patatassées » (La petite fille du réverbère, 1998).

Mots d'un jour

Pour tous ces auteurs, l’amour de la langue n’empêche donc pas de lui faire quelques infidélités poétiques ou ludiques. On ne doute pas que Colette connaissait les adjectifs amoureuse ou aimante, mais elle leur préféra parfois l’inédit aimeuse (Claudine à l’école, 1900).

Quant au députodrome de Boris Vian (L’Écume des jours, 1947), il suggère assez clairement le peu de considération de l’écrivain pour les élus de la Nation.

À n’en pas douter, ces inventions sans lendemain nourrissent le touchatouisme revendiqué par Jean Cocteau, qu’il définissait comme la « manière propre au poète de toucher un même objet sous différents angles et éclairages ».

Même si c’est avec des mots qui n’existent pas encore…

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Vue de la salle consacrée aux langues régionales